Le professeur
Interviewé sur sa longue carrière d’enseignant, Jean Martin la résumait par ces quelques mots :
« J’ai fait le tour de France des conservatoires ! J’étais très passionné par l’enseignement, la pédagogie, j’ai beaucoup cherché. »
C’est durant quarante-trois ans en effet qu’il enseigna au conservatoire de Grenoble à l’âge de 26 ans, puis aux conservatoires de Créteil,
de Saint-Quentin, de Bobigny, de Lyon et à celui de Versailles qu’il quitta à 69 ans.
« Je me suis intéressé très jeune à la pédagogie. J’avais envie d’aider les jeunes élèves sur plusieurs points, et avant tout à savoir travailler. Une grande majorité de jeunes pianistes travaillent mal : en général trop vite, et pas assez mains séparées ! De plus, ils veulent souvent montrer une grande virtuosité, au détriment du phrasé mélodique, et n’attachent pas assez d’importance à la pédale. Lorsqu’un de mes élèves ne joue pas une phrase avec l’expressivité requise, je lui demande de la chanter, et en général il la chante mieux qu’il ne la joue ! Il s’agit donc d’un défaut d’écoute sur lequel il faut travailler. »
Laissons la parole à Jean lorsqu’il répond à la question de Stéphane Friédérich :
« Que pensez-vous des jeunes pianistes aujourd'hui ? » C’était en 2001, pour La Lettre du musicien.
« Je m'attache avant tout à la sonorité. Les étudiants que j'entends possèdent souvent des moyens techniques impressionnants ! Les examens des conservatoires et aussi les concours internationaux les incitent à être de "super techniciens" ; de fait, ils délaissent la connaissance du phrasé et de la respiration des œuvres car ils ont été d'abord formés pour être de bons techniciens de l'instrument. La technique n'est qu'un outil ; elle ne les "libère" pas de la partition. Pour moi, la technique, c'est avoir une sonorité, c'est savoir chanter, c'est savoir respirer. »
Pendant une trentaine d’années, Jean a siégé dans de nombreux jurys de concours : obtention du CA, admission aux conservatoires du CNSM de Lyon et de Paris, concours Claude Kahn, école Cortot… L’écoute de ces centaines d’élèves qui se destinaient au métier de pianiste a été une source d’observation et a grandement nourri sa réflexion sur la pédagogie.
Deux expériences illustrent l’attitude de Jean.
L’une est racontée par son élève Joao Costa Ferreira :
« Ma première rencontre avec Jean Martin a eu lieu en 2008 lorsqu’il siégeait au jury d’un concours à l’école Cortot. Je me souviendrai toujours de cette rencontre, qui a transformé ma façon de jouer, et des circonstances si drôles de ce concours. Cette année-là, je m’y présentais entre autres avec l’Adagio en si mineur K. 540 de Mozart. Pendant que je le jouais, j’ai été interrompu par le son d’une cloche. Cela signifiait que mon jeu ne plaisait pas au jury. C’est donc sans doute mes interprétations de la Sonate dite "La Tempête" de Beethoven et de la troisième de Prokofiev qui m’ont valu le diplôme. Après l’annonce des résultats à la Salle Cortot, curieux de savoir pourquoi on avait sonné la cloche, je suis allé discuter (comme à l’accoutumée) avec les membres du jury. Le président m’expliqua que je jouais cet Adagio trop lentement. Jean m’expliqua que je le jouais trop vite. J’ai vite compris que c’était Jean qui avait raison car j’ai pu constater que sa mémoire était très vive, la fatigue accumulée au cours de plusieurs jours à écouter de nombreux pianistes ayant sans doute piégé celle du président. Sans même consulter ses notes, Jean me parla de divers détails sur ma posture et ma musicalité et me donna de nombreux conseils techniques. »
L'autre est rapportée par Johann Vacher :
« Jean organisait et supervisait des missions "commando" à l'approche des concours. Il me faisait alors parfois la surprise de venir avec moi au concours. Quand les épreuves étaient publiques, il allait écouter les autres candidats et me faisait remonter les informations : "Tu feras attention, le piano sonne dur dans les aigus", "Personne ne joue assez piano, surprends-les avec des nuances très douces...", "Dans l'œuvre imposée, ils pressent tous dans le passage difficile ! Toi, prends-le plus lent et tiens le tempo !", entre autres exemples. »
L'été, Jean Martin organisait des stages. A Saint-Denis, Avignon, Porto - à la suite de Vlado Perlumuter - à Lumbin, etc. et des stages de musique de chambre à Antony avec ses partenaires Flora Elfège et Claude Burgos. Et durant seize étés, de 2001 à 2016, il fit travailler amateurs et professionnels lors des Rencontres musicales des Monts Dore. Hors période estivale, il organisait des master class essentiellement chez lui à Paris, rue Ballu, afin de préparer les élèves à des concours.
Pour la revue Pianiste en juillet 2004, Jean Martin répond à la question :
« Quels sont, selon vous, les principaux apports d'un stage de musique en général, et de piano en particulier ?
- On retrouve dans un stage aussi bien des débutants que des pianistes amateurs d'excellent niveau. Et malgré les différences, chaque participant gagne à la confrontation. D'abord par l'écoute, ensuite par l'échange des expériences, un amateur plus âgé appréciera d'écouter un jeune de 17-18 ans qui prépare, par exemple, le CNSM. Les stages permettent de travailler avec les autres contrairement à ce qui se passe le reste de l'année. J’insiste particulièrement sur le fait que les stagiaires se critiquent les uns les autres. Il est indispensable qu'il y ait un travail collectif, et non simplement individuel. Enfin, lors des stages, je demande au pianiste d'aller suivre les classes de chant pour qu'ils voient, qu'ils apprennent comment on respire, on chante, on mène une ligne vocale. C'est d'ailleurs l'un de mes leitmotivs.
C’est extrêmement enrichissant. »
Et qu'en disent les élèves ?
« Il a été mon professeur au CNR de Lyon, il m'a enseigné la liberté au piano en servant la musique pour maîtriser les plus grandes difficultés tout en souplesse. Son enseignement pour moi est toujours vivant. Merci Jean ! » Philippe Gayraud
« Jean nous demandait de travailler mains séparées, par cœur et lentement. Et ce n'était jamais assez lent. Il nous faisait toujours ralentir, ralentir. Parfois, et c'était assez troublant, il nous faisait travailler non pas sur les touches mais sur le couvercle du piano. Il appelait ça
"faire son bois" "as-tu bien fait ton bois ?", demandait-il avec un petit air malicieux. » Luc Refabert
« C'étaIt un maître d'une grande honnêteté musicale, qui a contribué d'une façon significative à former ma personnalité musicale et mon approche instrumentale. Il insistait beaucoup sur le travail lent, sur le fait de recourir constamment au chant, avec un toucher très en contact, en "pétrissant" le clavier. La construction du discours telle qu'il la concevait et enseignait était d'une grande sobriété, avec peu de concessions au sentimentalisme, mais d'autant plus éloquente, authentique et touchante sans artifice superflu. » François Henry
« Parfois, après avoir détaillé entièrement l'interprétation d'un morceau pendant toute une leçon, Jean me disait : "Et maintenant, reprends le morceau depuis le début, oublie tout ce que je viens de dire et propose moi autre chose !" Il voulait ainsi me faire comprendre qu'il n'y a pas qu'une seule façon de jouer une œuvre, que beaucoup de choses sont possibles tant que l'interprétation est construite et vécue de bout en bout. » Yohann Vacher
« Nous étions en stage au Mont-Dore avec Jean, et je me souviendrai toujours le sourire et l’amusement qu’il avait à lier les moments qu’il passait avec chaque élève individuellement avec le reste de l’audience. Toujours un mot pour faire participer intellectuellement les autres, amusant et pédagogue. On avait une grande réflexion sur les exercices pianistiques avec certains pianistes contre et d’autres fondamentalement pour, et Jean comparait ça à un entraînement de tennisman en nous disant que même si le tennisman ne joue qu’avec un bras au match, il s’entraîne quand même avec les deux ! » Etienne Venier
« Lessons with Jean Martin were always inspiring and invigorating as he taught from the perspective that it was not sufficient to conquer a great work technically, but necessary to possess an intimate knowledge of the composer, the notes, the genre, the form and most importantly to allow your heart and passionate emotions to effuse through your fingers. He was a remarkable man and a legendary teacher to whom I will forever be indebted and grateful. » Kendrick Coleby
« Un jour, chez lui, il me proposa de me faire travailler la Sonate en do majeur K. 330 de Mozart. Ce jour-là, je l’ai apprise en entier avec lui, en une longue journée de huit heures. Oui, il m’a fait un cours de huit heures ! Jean ne m’a jamais fait payer un seul cours de piano. Il me disait souvent que c’était une façon de rendre à quelqu’un ce que son maître Yves Nat lui avait donné. » João Costa Ferreira
« Il nous donnait tout, nous léguait tout. Enseigner était une seconde nature, une évidence, une passion. Il nous accompagnait, nous guidait, nous emmenait. Pour lui, enseigner, c’était voir son élève le plus souvent possible, pour travailler étape par étape tous les aspects de l’œuvre. Il n’était pas un grand fan des "maestros" qui distillent leurs conseils avec truculence, chantilly et parcimonie pendant quelques séances dispersées au long d’une année. Non, pour lui le travail est quasi quotidien, un travail de jardinier musical, un travail de chaque seconde. Travail d’invention, d’écoute, de recherche, de perfectionnement encore et encore. Il inventait des exercices, passait des heures à tout mettre en place : il n’avait peur de rien. À Saint-Denis, au Mont-Dore, ou dans sa tanière de la rue Ballu, c’était un artisan de la pédagogie, artisan au sens le plus noble, le plus profond, le plus poussé. Une chose importait : le son. »
Gregoire Baumberger
« Jean Martin a beaucoup compté pour moi. Son enseignement instinctif, son sens de la phrase, de la beauté du son et son horreur du verbiage musicologique en faisaient quelqu’un de spécial.
Il suffisait qu’il mette ses grandes mains sur le piano pour que tout devienne clair. La musique prenait vie. Le comment du pourquoi importait peu… L’univers poétique était son domaine de prédilection.
Merci, Jean, pour tout ce que vous m’avez apporté, transmis ; tous ces souvenirs des années lointaines sont intacts et bien vivants. »
Anne Makarenko.
A l’issue des stages du Mont-Dore Jean tenait à organiser des concerts pour ses élèves.
Jean adorait aussi discuter, manger, sortir, aller au concert avec ses élèves...
« Il aimait beaucoup la compagnie de ses amis et de ses élèves pour partager un repas, des plaisirs simples de la vie, ou juste un moment de détente. Au point qu'il pouvait parfois se fâcher de nous voir partir trop tôt pour répondre à quelques obligations.
Il était surtout un être extrêmement généreux, qui ne comptait pas ses heures à nous enseigner au Conservatoire ou bien chez lui, gratuitement. Je me souviendrai toujours de sa présence et de sa chaleur avec émotion et affection. »
Simon Grégorcic
« Jean Martin me disait souvent : "Le rubato ne doit pas être joué n’importe comment ! Il permet de jouer avec une certaine liberté,
mais en respectant la mesure. C’est un peu comme la vie, n’est-ce pas ?" Jean m’a en effet donné des clefs pour le piano ainsi que
pour la vie : musique, cuisine, vin… et whisky ! » Hata Junko
« Son enseignement était à cette image : débordant et inclassable. Il pouvait être violent, injuste, acerbe et passer des heures sans compter pour aider son élève à aller au bout de ses idées et se dépasser. Une leçon prévue pour deux heures durait rarement
deux heures : c’était souvent le minimum. Et après tous ces remous, il pouvait faire cuire une omelette à la recette improbable, offrir un verre, nous emmener au café ou consulter ensemble le catalogue de L’Homme moderne. Il passait d’un soleil à l’autre, parfois d’un nuage à une éclaircie. » Grégoire Baumberger
élève : Norina
pièce travaillée : Chopin, Valse en si mineur
élève : Kerem
pièce travaillée : Rachmaninov, Prélude en ut dièse mineur
élève : Éva
pièce travaillée : Schumann, Petite étude
Les témoignages sont encore très nombreux, vous les trouverez réunis en vous rendant à la page « Témoignages » sous professeur.
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